HENRI SALVADOR CHANTE BORIS VIAN

Barclay 549 482-2
(P) 1970 Barclay, un label Universal Music, © 2000 Barclay


Recto
Face recto
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Face verso. Écoute des pistes Je n'peux pas travailler La java mondaine Le gars de Rochechouart À Cannes cet été Le taxi Cécilia Oh ! quand les saints Ça pince Ne dis plus rien Le fêtard Le gosse Mazurka pour ma mie La fin des vacances J'ai vingt ans


Extrait du livret

23 juin 1959. À Notre-Dame, un couple d'acrobates hongrois se marie. Pour des raisons alors impératives, maintenant parfaitement oubliées et, en tout cas, publicitaires, Henri Salvador, sollicité comme témoin pour la photo de famille, attend devant le parvis. Lorsque les époux sortent enfin et l'aperçoivent, hurlements : ils sont racistes ! Les photographes et journalistes présents se fendent la pipe : faut rigoler !

— A propos, tu sais, dit l'un d'eux, y'a ton pote qu'est mort.

— Mon pote?…

— Oui, ils viennent de le dire à la radio.

Son pote… Henri se précipite chez Barclay. Et Eddie, l'apercevant, pleure.

On sait où Boris Vian est mort : à cette projection privée de “J'irai cracher sur vos tombes”, ce film fait, selon Pierre Kast, hors de lui, malgré lui. On avait tellement insisté pour qu'il vienne… Aujourd'hui, Henri, son pote, n'en démord pas :

— Il n aurait pas dû accepter. On ne doit jamais faire ce que l'on ne veut pas faire. C'est ce qui l'a tué. Grâce à Jack Diéval ils s'étaient connus, plusieurs années auparavant. Diéval, pianiste-accompagnateur d'Henri, avait apporté deux chansons écrites avec Boris : un délirant “C'est le Be-Bop”, une déchirante “Vie Grise”.

Et l'on se rencontra.

— Il avait, dit Henri, un front énorme et une petite voix. Il était très gentil. Derrière lui, un tableau signé Bison Ravi me fascinait : des damiers qui tournaient… Car Boris Vian eut, eut aussi, le pressentiment de l'art cinétique. S'il était encore en vie de nos jours, certainement l'ingénieur-bricoleur agencerait des mécaniques que le poète-dramaturge libérerait, et tout l'arsenal désuet des sons-et-lumières éclaterait, comme le langage dans “L'Écume des Jours”. Raysse et Schöffer seraient de ses fréquentations comme jadis Queneau ou Korzybski. Mais avec, toujours, des musiques signées Salvador.

— J'étais encore dingue quand j'ai connu Bobo, raconte Henri. Et pas trop fainéant… Enfin… beaucoup moins qu'aujourd'hui !… Une chance, parce qu'avec lui, fallait travailler.

Oui, Boris arrivait à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit et, s'il se laissait aller à écouter Basie le temps de deux ou trois 33 tours, c'était sans doute pour recharger le mécanisme ahurissant qu'il avait dans la tête et qui lui permettait ensuite d'aligner quatre textes de chansons en un quart d'heure. Ils faisaient la course, d'ailleurs, lui et Henri, à qui terminerait le plus vite. Et Henri, chez qui la musique coule de source, en est encore époustouflé :

— Un jour, il est arrivé à finir avant moi !…

Elles n'ont pas toutes été enregistrées, ces chansons-là. Henri les protège contre les corbeaux de la ritournelle posthume. Bientôt, seul avec sa guitare dans son petit atelier de fournisseur de sonorités, il mitonnera un disque qui ne devra rien qu'à lui-même et à sa fidélité. Peut-être y sentira-t-on passer des courants antillais, mais aussi, mais surtout, des pincées de ragtime, coulées de blues, éclairs de be-bop. Ça ruissellera de jazz, ce jazz qui fut l'une des raisons majeures de vivre de Boris.

Ce jazz dont Henri se nourrit aussi. Venu récemment chez un disquaire pour réapprovisionner sa fringale, il est remarqué par un adolescent dont les yeux alors s'illuminent :

— Vous avez été l'ami de Boris Vian !…

Il était impossible de ne pas être l'ami de Boris Vian. Comme il est impossible de ne pas continuer à être fasciné par l'homme qui, pour son “Traité de Civisme”, avait émis cette simple proposition, résumé de la philosophie des authentiques hippies d'aujourd'hui :

— “Ce qui compte, ce n'est pas le bonheur de tout le monde, c'est le bonheur de chacun.”
ANDRÉ SALLÉE


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